Les
stéréotypes ont plusieurs fonctions ; ils normalisent la violence
et dissuadent les femmes de se défendre, notamment en leur imputant
la responsabilité de leur agression, en niant la gravité de ce
qu’elles ont subi, en les menaçant ou en les incitant à conserver
le silence. Voici quelques-unes des idées reçues qui nous sont
quotidiennement renvoyées par les agresseurs, les médias, les
employeurs ou... les institutions.
1.“C’est
votre parole contre la sienne”
: Cette
apparente équivalence - accordant le même statut à la parole de
l’agresseur et de l’agressé-e sous-entend que la parole d’une
femme parce qu’elle est femme et salariée (donc dans un double
rapport de subordination) n’a pas la même valeur que celle de son
agresseur. Que, si l’employeur ou la justice sont saisis, ils ne
pourraient que se prononcer en sa faveur, au détriment de la
victime. Peut-on accepter une analyse qui, en cautionnant le pouvoir
du plus fort, invalide la notion même de justice ?
2.
“Il n’y a pas de preuve” :
Quelles
que soient les variantes (“Il
n’y a pas de témoin”),
cette affirmation repose sur une conception erronée et dépassée de
la constitution de la preuve. Votre parole est l’élément central
de la dénonciation. D’autres éléments de preuve la complèteront
: des témoignages, des confrontations, des attestations, des écrits.
En outre, la justice n’exige pas la pré-constitution de la preuve.
3
. “La justice est saisie” :
Cette
réalité ne décharge pas les institutions concernées de leurs
responsabilités : l’employeur doit garantir des conditions de
travail exemptes de risques pour ses salarié-es, le syndicat est
chargé de défendre les intérêts des salarié-es, l’inspection
du travail a le pouvoir de faire une enquête, de rédiger un rapport
et de dresser procès-verbal. Ne pas prendre en considération une
dénonciation, c’est, de fait, cautionner l’injustice commise.
4.
“Vous prenez des risques” (licenciement,
divorce, dénonciation calomnieuse...)
:
Dénoncer
une injustice, un abus de pouvoir, c’est effectivement prendre des
risques. Mais ceux-ci s’analysent et s’évaluent, afin de les
circonscrire. En dernier ressort, il appartient à la victime de
décider ce qu’elle veut ou peut faire.
5.
“Vous allez détruire sa vie” (sa
carrière, sa famille, sa réputation)
:
Au
nom de quoi accepter de subir une agression, se laisser détruire,
sacrifier sa propre carrière, sa famille, sa réputation et protéger
les intérêts d’un agresseur ? Au nom de quoi devrait-il échapper
à la loi ? Au nom de quoi faudrait-il renoncer à ses propres droits
?
6.
“C’est un problème privé”
: Cette
affirmation repose sur une analyse qui a longtemps justifié
l’absence d’intervention (que
ce soit dans la famille ou sur le lieu de travail)
de l’État. Les questions dites “personnelles” ne seraient pas
du ressort de la loi ; les rapports de pouvoir entre deux ou
plusieurs personnes dans le cadre de l’entreprise ne concerneraient
pas le droit. L’agression est commise dans le cadre de relations de
travail ; ce n’est donc pas “un problème personnel”, c’est
un délit ou un crime. Les lois de 1992 ont rendu cet argument caduc.
7.
“On ne vous a pas violée” :
Cette
affirmation sous-entend que le harcèlement sexuel n’est pas
suffisamment grave pour être dénoncé. Faut-il que l’agresseur en
arrive au viol pour que l’on reconnaisse la gravité de la violence
subie ? Seule la victime sait ce qu’elle a vécu, ce qu’elle a
ressenti et personne ne peut et ne doit se substituer à elle.
8.
“Vous vous faites des idées” :
En
récusant la perception de la réalité de la victime, sa capacité
d’analyse, et par là même, la réalité de l’agression, il
s’agit d’empêcher toute dénonciation.
9.
“Vous prenez vos désirs pour des réalités” :
Le
vécu de la violence est invalidé et la victime est accusée
d’imaginer une intention sexuelle. Par là même, on sous-entend
qu’elle est frustrée ou nymphomane.
10.
“Ne l’auriez-vous pas provoqué ?” :
Quelles
que soient les variantes de cette affirmation : “Comment
étiez-vous habillée ce jour-là ?” “Mignonne comme vous
êtes...” ; “Vous n’y êtes pas pour rien ?” ; “Votre
attitude n’était-elle pas aguichante ?”... C’est
là une manière d’opérer un transfert de culpabilité, en rendant
la victime responsable de l’agression dont elle est l’objet.
11.
“Vous n’aviez qu’à...” (réagir
plus tôt, dire non, partir, lui donner une gifle...)
: Cette
approche occulte d’emblée l’agression et l’agresseur en
mettant au premier plan le comportement de la victime et ses
capacités à réagir. C’est partir du postulat que toute victime
devrait maîtriser une agression, qu’elle serait donc capable de le
faire. Objets d’agressions, les victimes ne sont considérées
comme sujets que pour leur faire endosser une responsabilité qui
n’est pas la leur.
12.
“Vous avez bien accepté jusqu’à maintenant”
: L’acceptation,
un jour, de relations sexuelles (ou
d’une invitation extra-professionnelle...), ne
vous prive pas de votre droit de les refuser ultérieurement. Par
ailleurs, “Céder
n’est pas consentir”.
Le contexte dont lequel le consentement aurait été accordé doit
donc être pris en compte. Quelle est en effet la validité d’un
accord donné sous la contrainte physique, psychologique ou
économique ?
13.
“Le harcèlement sexuel a toujours existé”
: Cet
argument sert à légitimer et à perpétuer toutes les injustices et
les rapports de domination. On a tenté de justifier ainsi
l’esclavage, la torture, l’apartheid...
14.“On
va vers une société à-l’américaine”
: Un
prétendu abus à l’américaine est invoqué comme un danger qui
menacerait la société française ; il s’agit en réalité de
dissuader les femmes en France, de porter un regard critique sur les
relations hommes/femmes, sur la-liberté-sexuelle-à-la-française,
sur une certaine conception de la galanterie, ou de la séduction.
Cet argument permet de rejeter aussi bien la réalité de l’agression
que le débat de société sur les relations entre hommes et femmes
et sur les relations au travail.
15
"Les hommes aussi sont harcelés"
! Oui
c’est vrai. Mais aucune violence n’en annule une autre. De tels
propos ont pour finalité d’occulter la réalité massive des
violences commises essentiellement par des hommes à l’encontre des
femmes.
16
"C’est une cabale, un complot, un coup monté..."
: L’agresseur
devra alors justifier et prouver ses allégations. Il lui faudra
s’expliquer sur vos mobiles et votre intérêt, à vous venger, à
mentir... Ces allégations seront appréciées au regard des
conséquences d’une dénonciation pour une victime (risques
d’une plainte pour dénonciation calomnieuse, coût humain,
financier, personnel...)
Les motivations exprimées par les victimes sont diverses : que
l’agresseur cesse ses agissements, qu’il ne recommence pas avec
d’autres femmes, que leur intégrité et leur dignité soient
restaurées.